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samedi 3 janvier 2009

Algonquins de Trois-Rivières - Retour à Petite-Mission

http://www.ledevoir.com/2006/06/03/110615.html

Algonquins de Trois-Rivières - Retour à Petite-Mission

estelle zehler
Édition du samedi 03 et du dimanche 04 juin 2006

Mots clés : algonquins, magouas

La mémoire orale au secours de l'histoire occultée des Magouas
L'histoire s'est évertuée à effacer les traces des Algonquins de Trois-Rivières. Cependant, malgré tous les efforts mis en oeuvre, la communauté a survécu avec pour seul ciment le souvenir de ses origines. En quête d'une identité spoliée, Claude Hubert et Rémi Savard ont cherché, en se guidant sur la tradition orale, les éléments à même de rétablir le fil rompu du temps. Un ouvrage, publié par Recherches amérindiennes du Québec, a ainsi vu le jour.

Une journée quelconque, il y a environ 16 ans. Un homme se présente au bureau du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Il demande à être inscrit au Registre des Indiens. Une à une, les différentes sections du formulaire sont complétées, jusqu'à la question concernant le numéro de bande. Problème! Il ne connaît pas son numéro de bande.

L'homme en question est le père de Claude Hubert. Il est algonquin, un Algonquin de Trois-Rivières. Cela il le sait. De génération en génération, la mémoire s'est transmise. Son père le lui a dit, ses grands-parents le lui ont dit. Voilà cependant qu'on lui annonce qu'il ne l'est pas sans numéro de bande. La famille Hubert entreprend alors des recherches pour découvrir ce fameux numéro qui n'existe pas. En effet, lorsque tous les numéros ont été émis par le ministère en 1951 et octroyés à toutes les réserves, la communauté de Trois-Rivière a été omise.

Les Hubert poursuivent par conséquent leurs recherches pour prouver leur ascendance algonquienne. Ainsi démarre l'aventure du manuscrit Algonquins de Trois-Rivières -- L'oral au secours de l'écrit que Claude Hubert et Rémi Savard ont corédigé.

Repères ancestraux

Il apparaît très rapidement que le problème concerne un grand nombre de personnes. La communauté algonquienne de Trois-Rivières sort progressivement de son anonymat. «J'ai rencontré, se rappelle Claude Hubert, des personnes de la Petite Mission [nom officiel de la communauté depuis 1910]. Toutes indiquaient avoir des ancêtres indiens, cela ne pouvait être une coïncidence.»

Même si les archives sont d'un mutisme consternant, la mémoire a été transmise grâce à la tradition orale. «Je ne peux ignorer ce que nos aînés nous ont confié, bien que les registres ne le mentionnent pas. À la Petite Mission, les gens ne savaient ni lire, ni écrire. La première école date de 1906. Mais cela ne signifie pas que la mémoire orale est inexacte.»

Bien que nous vivions dans une société qui axe son mode d'être sur l'écrit, la valeur de la tradition orale ne peut simplement être balayée. L'oralité a donc constitué le soubassement sur lequel les travaux de recherche se sont appuyés. À sa lumière, les archives ont été passées au crible, la littérature déployée et les historiens questionnés pour transcender le long travail d'occultation mené pour effacer toute trace de l'existence des Algonquins de Trois-Rivières.

L'histoire en question

Bien avant l'arrivée des colons, certains Algonquins avaient élu Trois-Rivières pour campement d'été. À la croisée des eaux du Richelieu, de la rivière Saint-Maurice et du fleuve Saint-Laurent, la région devient rapidement un épicentre du commerce de la fourrure. La convoitise territoriale des colons français et anglais ne tarde pas à s'exprimer. «Pour faire face à la Nouvelle-Angleterre, la politique française reposait sur des coalitions, poursuit Rémi Savard. Or, les Algonquins ont joué un rôle très important dans le cadre des alliances franco-indiennes.»

Le Dictionnaire biographique du Canada cite à cet effet nombre de chefs originaires de Trois-Rivières. En 1701 intervient la Grande Paix. L'implantation de la colonie s'organise alors et, par le fait même, les paroisses. «Elle s'accompagne d'une espèce de tentative d'éradication de toute trace indienne de la part du clergé et des élites locales.» Vers 1755-62, les rangs des Algonquins présents se voient grossis par l'arrivée d'Acadiens, dont un grand nombre sont métissés. Ils fuient la déportation. Les autochtones vivent en marge de la société coloniale en des lieux qui allaient s'apparenter de plus en plus à des bidonvilles. Fréquemment surnommés le «Petit Canada», ils étaient perçus comme des «restants de tribus» et des exclus de la société québécoise.

Émancipation par assimilation

En 1857, une loi stipule que toute personne dont le nom est inscrit dans le Registre des affaires indiennes sera considérée comme mineure, le gouvernement fédéral s'instituant leur tuteur à tous. Possibilité est toutefois laissée aux personnes de s'émanciper en faisant montre d'assimilation. Leur nom est alors effacé du registre, ainsi que ceux des membres de leur famille proche.

Les manipulations de registre sont alors légion. Des années complètes sont supprimées, en particulier quand il s'agit des «baptêmes des sauvages». Mais il est des curés rebelles qui ne se conforment pas à ces directives. Certains écrits résistent à l'épreuve du temps et des hommes. En outre, des croisements ont pu être réalisés avec des actes de mariage. L'idée de fond consistait à ne pas nommer les gens, soit à nier leur existence. Ainsi, quand une femme mettait un enfant au monde, il était fréquent que l'on indique «né de père inconnu» quand celui-ci était indien.

En parallèle, il existait une volonté gouvernementale d'établir des réserves. «Jusqu'en 1892-95, indique Rémi Savard, on retrouve dans les dossiers du ministère des Affaires indiennes la préoccupation de donner rapidement une réserve aux Indiens de Trois-Rivières.»

Mais les actions tardent. Des vertus d'assimilation étaient alors prêtées aux réserves, qui devaient de ce fait disparaître naturellement. Celles-ci étaient considérées comme des bandes régulières, contrairement aux bandes dites irrégulières que la Loi sur les Indiens de 1951 allait faire disparaître.

On trouve cependant, en marge des registres, d'autres références à la communauté de Trois-Rivières, dont la littérature. «On parle de cette petite communauté au XIXe siècle et on lui donne même un nom: les Magouas.» Certains auteurs citent des gens à l'allure chétive, sans méchanceté, et qui ne se mêlent pas aux autres. Ces témoins -- certes subjectifs, les faits subissant la distorsion de leurs perceptions -- n'apportent pas moins des balises pour confirmer la présence des Algonquins dans la région. D'autres sont plus explicites. «Jacques Ferron, élevé à Louiseville, ne cesse de parler des Magouas dans ses écrits.» Le petit village algonquin y est bien présent.

Le temps de la revendication

Après une longue période de silence, le temps de s'exprimer est venu pour la communauté. «Vous savez, témoigne Claude Hubert, au début du siècle, c'était quasiment une honte encore d'être d'origine indienne. Les gens n'en étaient pas fiers.» Leur situation sociale était très difficile. Rémi Savard approuve: «Il ne fallait pas oublier que vous étiez algonquin, mais ce n'était pas "glamour".»

Depuis, plusieurs luttes ont pris le devant de la scène publique, tel lors du projet de livre blanc déposé en juin 1969 par Jean Chrétien, alors ministre des Affaires indiennes. Au lieu de leur réserver un traitement particulier, le gouvernement avait l'intention d'intégrer les autochtones à la société canadienne. C'était leur retirer tout pouvoir de négociation.

Du fait de fortes réactions, le gouvernement Trudeau retire le livre blanc en 1971, mais il avait déclenché un militantisme latent. Aujourd'hui, pour certaines familles, il s'agit de se faire reconnaître. Ainsi, des lignées ont été explorées par les auteurs du livre. On y découvre les ancêtres Hubert, Guillemette, Boisvert, Millette, Noël, Girard, Duplessis et Comeau. «Évidemment, il y a eu beaucoup de métissages, s'exclame Rémi Savard, et la langue a été perdue au début du XXe siècle, mais ils se considèrent comme les descendants de ceux que l'histoire nomme les Algonquins de Trois-Rivières.»

Recherches amérindiennes s'implique

Pour Sylvie Vincent, présidente de la société Recherches amérindiennes du Québec, dont la revue fête par ailleurs ses 35 ans, il était important de publier ce manuscrit. «Il traite, explique-t-elle, pour la première fois d'autochtones qui ne sont pas reconnus comme étant des Indiens au sens de la loi, malgré toutes leurs tentatives, et qui n'habitent pas dans une réserve. Or, il existe une croyance au Québec à l'effet que les autochtones ne vivent que dans les réserves et qu'il n'y a pas de métis. Ces deux phénomènes seraient réservés à l'Ouest. Il nous apparaissait vital de rendre les faits publics, non seulement pour les Algonquins, mais pour l'histoire du Québec.»

Ce fait d'armes souligne donc l'anniversaire de la revue, une revue de qualité et qui, de plus, n'est rattachée à aucune université. Elle perdure pourtant! Au fil du temps, la rédaction a élargi ses centres d'intérêt des autochtones du Québec à l'ensemble du Canada, et même à l'Amérique latine, en mixant les articles scientifiques et les faits d'actualité. La reconnaissance des Algonquins de Trois-Rivière ne pouvait qu'y être appuyée.

Collaboratrice du Devoir



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